Charles Vasseur (Hesdin, Pas-de-Calais 1826 – Tournai 1910), un photographe tournaisien ignoré.

Les différents auteurs qui ont abordé le sujet de l’histoire de la photographie à Tournai n’ont, à notre connaissance, jamais cité le nom de Charles Vasseur parmi les photographes tournaisiens connus.

À la faveur des recherches, menées récemment pour la préparation de notre dernière publication[1], nous avons trouvé deux références issues du journal « Le Courrier de l’Escaut » montrant qu’en plus des qualités reconnues de lithographe, Charles Vasseur s’est aussi adonné aux plaisirs de la photographie.

  1. Le 9 juin 1897 : un journaliste écrit : « L’Exposition d’art photographique organisée par la Société de patronage des Enfants moralement abandonnés, de Tournai, s’est ouverte dimanche matin dans la salle du Cercle artistique. » […] « Parmi les œuvres exposées, l’ensemble qui s’impose, c’est la série des agrandissements de M. Charles Vasseur : tout le fond de la salle disparaît sous la collection des quarante-deux grands sujets qu’il expose et où se reflète la grande qualité de cet artiste consciencieux : l’harmonie : chacun de ses clichés est un petit chef d’œuvre d’intérêt autant que d’exécution ».
    Le photographe tournaisien René Desclée a photographié la salle d’exposition le 14 juin 1897.
(photo R. Desclée 1645), on aperçoit au fond de la salle les 42 photos de Charles Vasseur.

       2. Le 12 février 1941, Walter Ravez[2] écrit, dans le même journal, un article intitulé « La Maison Tournaisienne » : « Enfin, nous reconstituerons
           sans peine le film de tous le marchés disparus ou anémiés grâce aux nombreuses photographies laissées par Charles Vasseur, vers 1875,
           fidèlement conservées par sa famille et dont la reproduction sera aisée ».

Qui était Charles Vasseur ?

Né à Hesdin en 1826, il crée, à Tournai, avec son frère Adolphe, un atelier d’impression qui sera le point de départ de l’atelier lithographique Vasseur Frères où trois autres membres de la fratrie, Auguste, Joseph et Victor les rejoindront.  Charles deviendra un des plus habiles dessinateurs lithographiques de la Belgique.  C’est lui qui a illustré « Tournai ancien et moderne » d’Amé Bozière en 1864. Il est avec son frère Adolphe un des fondateurs du Cercle artistique de Tournai en 1855.  Il lègue à la Ville, pour son musée des Beaux-Arts, une importante série d’aquarelles, fusains et dessins. Malheureusement, ce legs de ses œuvres se trouvait en 1940 dans l’ancien musée des Antiquités de la Halle-aux-Draps qui fut détruit lors des bombardements au mois de mai de cette année.[3]

On peut penser que l’œuvre photographique de Charles Vasseur a subi le même sort.

À ceci près…

En avril 1981, Bernard Desclée photographiait en noir et blanc, les photos d’un album consacré à Tournai et environs.  Cet album lui avait été prêté par le collectionneur, amateur de tout ce qui avait un rapport avec Tournai, André Rouneau.  Ce dernier l’avait acquis auprès de brocante tournaisienne « Œuvre des Missions » ouverte jadis un demi-jour par semaine.

185 copies numérotées de 03646 à 03699, 03707 à 03857 et 03860 à 03872 ont ainsi enrichi les collections et archives de l’Archéologie Industrielle du Tournaisis (A.I.T.) devenue plus tard les Archives Iconographiques du Tournaisis (A.I.T. également).  Cet album n’a semble-t-il jamais fait l’objet d’une étude particulière.  C’est ce que nous avons tenté de réaliser afin d’essayer de préciser l’identité de son auteur.

L’ensemble comporte quatre portraits de personnages liés par un lien familial et une photo d’un groupe de cinq personnes, dont Clémence et Charles Vasseur (junior) enfants de Charles Vasseur :

Portraits : Eugène Wattiez père (03683), Charles Vasseur (junior) lavant son chien Bon-Bon (03777), Charles Allard, photographié rue du Four-Chapitre face à son atelier (03811) et Adolphe Vasseur (03852).

Photo du groupe (AIT 03841)

De gauche à droite : Jules Her, Clémence Vasseur, Georges Hermont, Charles Vasseur et Julien Semet.

Liens familiaux unissant ces personnages :

  • Adolphe Vasseur est le frère de Charles Vasseur
  • Clémence et Charles Vasseur (junior) sont les enfants de Charles Vasseur
  • Eugène Wattiez est le beau-père de Clémence Vasseur
  • Charles Allard est le fils d’Octavie Vasseur, sœur d’Adolphe et Charles.

Le tableau ci-après, comprenant les références des photos A.I.T., donnera une information plus claire sur la généalogie de la famille Vasseur.

On notera que Charles Allard, lithographe, peintre et aquarelliste continuera l’ouvre de ses oncles, les frères Vasseur. Il était aussi le père de Florent Allard l’Olivier mieux connu sous le nom de Fernand Allard l’Olivier peintre tournaisien de renom. Environ 25 % des photographies sont datées, les dates extrêmes relevées sont 1865 et 1903. Elles correspondent aux dates de naissance et de décès de Charles Vasseur : 1826 et 1910. Tous ces arguments plaident pour attribuer les photos de cet album à Charles Vasseur. Quelques-unes sont présentées ci-après.

Le long des boulevards de Tournai

Chasseurs à cheval, boulevard Léopold, carrefour avec la rue Saint-Eleuthère.
Le cavalier en tête est accompagné de Gustave Carbonnelle, brasseur à Tournai.
(AIT 03681)
Une colonne à pied du 1er chasseurs à cheval le mousqueton sur l’épaule traversant le boulevard Léopold, se rend probablement au tir à la cible, venant de la place de Lille. Photo réalisée en 1891. (AIT 03816)
Retour de la place Verte. Un petit bouvier, chaussée de Lille (actuellement avenue de Gaulle) retourne chez lui revenant du marché au bestiaux. (AIT 03831)
Un groupe d’écoliers au boulevard Léopold. (AIT 03750)

En ville

Procession de Saint-Jean -1880. (AIT 03792)

Ce coin de Tournai a tellement changé que nous avons estimé devoir présenter un plan ancien de Christian Popp datant d’environ 1865 pour la commenter. Par la même occasion nous avons découvert que ce plan était erroné. Celui édité ici présente les corrections en caractères rouges. La flèche indique l’endroit et la direction de la prise de vue.

Quelques maisons de ce quartier ont été endommagées en 1940, mais le quartier fut peu touché. La plus grande transformation du quartier date du début des années 60 pour ouvrir la nouvelle rue du 1er régiment des Chasseurs à Cheval. Nous remercions Patrice Delobelle qui nous a aidé localiser la photo.

(AIT 03865)

On aurait préféré ne pas voir cette photo de bourgeois tournaisiens observant en septembre 1889, ces Africains parqués place du Parc, actuellement place reine Astrid. Originaires d’Angola, ils avaient été exhibés à l’exposition universelle de Paris qui s’était ouverte en mai 1889. En septembre un voyage en train les emmenait de Paris vers une autre destination en passant par Tournai où ils se sont arrêtés et été présentés au public tournaisien.

On pourrait penser qu’à cette époque ce genre de spectacle lamentable laissait tout le monde indifférent. Ce n’était cependant pas le cas si on en juge la réaction d’un lecteur du « Courrier de l’Escaut » publiée le 1er octobre 1889 :

Un de nos abonnés nous écrit : « Nos Angolais viennent de partir. On les a vus à la gare, toussant et grelottant sous leur mince couverture, prendre le train pour Namur. Ce spectacle n’a pas été sans exciter la répugnance et la commisération des assistants. » Notre correspondant ajoute qu’on ne devrait pas tolérer de pareilles exhibitions en pays civilisé : il a parfaitement raison. C’est scandaleux et immoral au premier chef de traiter des êtres humains, qui ont une âme comme nous, comme on agit avec des bêtes. Nègres ou non, peu importe : toute exhibition où l’homme est mis sur le même pied que l’animal, devrait être rigoureusement interdite par les autorités communales.

Ces Angolais ont quitté Tournai fin septembre 1889, un des leurs avait été emporté par la maladie le 18 septembre.

Photos prises dans les villages et les faubourgs proches

Cette photo est un document rare découvert sur Internet[4], c’est en effet la seule de l’album Rouneau qui soit reproduite dans son aspect originel en couleur sépia. Celle conservée dans les archives de l’A.I.T. (03669) est comme toutes les autres en noir et blanc, complétée par le commentaire suivant : Tournai, faubourg de Lille : Pestiaux amène ses tonnes d’engrais.

La date proposée est erronée puisqu’elle ne peut être supérieure à 1903 (voir supra), nous estimons qu’elle date plutôt des années 1890. La référence aux Archives iconographiques de Tournaisis est aussi erronée puisqu’elle y existe bien mais en noir et blanc.

Orcq : les saules du chemin Vert. Ce chemin fixait, avant la fusion des communes, la limite entre les communes de Tournai et Orcq entre la chaussée de Lille et le chemin de Bouvines. (AIT 03675)
Cette photo est simplement signalée : cour de ferme. Nous avons cependant pu reconnaître la ferme de la Motte Baraffe à Willemeau. (AIT 03714)
Kain « Au grand Saint-Eloi » attelage, photo que nous n’avons malheureusement pas pu situer avec précision. (AIT 06395)
Cliché simplement nommé « Voiture attelée » que nous avons choisi pour montrer la position singulière de ces dames juchées sur le toit d’une voiture hippomobile. (AIT 03869)

Si nous n’avons pas pu prouver de façon indubitable que ces clichés sont l’œuvre de Charles Vasseur, les présomptions qu’ils le soient sont grandes.

Nous ne pouvons qu’inviter les amateurs de photos anciennes du Tournaisis à pousser la porte des Archives Iconographiques du Tournaisis, à Vaulx, pour découvrir l’ensemble de l’album.

[1] B. DEMAIRE, Autour des cheonq clotiers – Florilège des albums photographiques d’Edmond Messiaen, Archives Iconographiques du Tournaisis, 2022

[2] WALTER RAVEZ (1886-1946) : magistrat, historien, fondateur de la Maison du folklore, actuellement MuFim.

[3] G. LEFEBVRE, Biographies tournaisiennes des XIXe et XXe siècles, Archéologie Industrielle de Tournai, 1990

[4] E. BOUSSEMART, Le Tournai d’avant : arboriculture, oser avoir foi en l’avenir, 10 06 2021
     https://le Tournai d’avant l’arboriculture. Oser avoir foi en l’avenir

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